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Cécile

Mon mémoire DU de soins palliatifs

Mémoire de DU de soins palliatifs, Université de Lille, mars 2008 :


L’espoir de vie et le spectre de la mort dans l’attente d’une greffe pulmonaire. Un parler vrai.



PLAN


Introduction: …du stage en Unité de Soins Palliatifs (USP) … à l’accompagnement à la greffe pulmonaire…


A. La pathologie des patients, la mucoviscidose


B. Un soin ultime, la greffe pulmonaire


C. L’espoir de vie, le spectre de la mort

1. La mort, le mourir

2. La place du psychologue

3. La spectre de la mort

a. dans une USP

b. dans la préparation à la greffe pulmonaire



Conclusion: Parler le vivre


Introduction


Ma motivation à suivre la formation du Diplôme Universitaire de Soins Palliatifs (DUSP) était fortement liée à mon travail, car bien que je ne sois pas dans un service d’une unité de soins palliatifs, je suis régulièrement interpellée par la question du mourir. En effet, les patients que j’accompagne sont concernés par la transplantation pulmonaire.


De fait, ils vivent à mi-chemin entre une mort certaine et une survie possible. Ces malades sont informés que leur seule chance de survie est la greffe mais que si un évènement empêche cette ultime opération, c’est la mort certaine, pas si lointaine, au bout de la route.



En faisant une recherche bibliographique, j’ai constaté que je travaillais tous les jours sur un thème dont la littérature parle peu ou pas : le mourir ou le risque de mourir, l’angoisse de mort, lors d’une préparation à la greffe pulmonaire.

Faut-il en parler… ?


Quel accompagnement psychologique ?



J’ai effectué mon stage de DUSP au centre hospitalier de Roubaix où je fus très sympathiquement accueillie par ma collègue psychologue et toute l’équipe. Je les en remercie.


Accompagner au quotidien des personnes en fin de vie fut passionnant. Cependant, écrire un mémoire uniquement sur mes observations et réflexions durant ce stage me semblait être une probable répétition de ce qui a déjà été fait et bien fait, dans le passé, par d’autres.


C’est pourquoi je profite de l’écriture de ce mémoire de DUSP, pour dire pourquoi je pense nécessaire de proposer -sans imposer- à toute personne en attente de greffe pulmonaire une interrogation sur la vie, la mort, le mourir.


Nous nous poserons ces questions après une présentation succincte de la pathologie de certains malades concernés par la transplantation et avant le récit de deux histoires de vie.



Dans ma vie professionnelle au centre hospitalier universitaire de Lille, à l’hôpital Calmette dans le service du Professeur Wallaert, j’accompagne principalement des patients atteints de mucoviscidose.



A. La pathologie des patients


la mucoviscidose


La mucoviscidose est la plus fréquente des maladies génétiques graves dans les populations nord-européennes.


En France, elle touche un nouveau-né sur 4500. [1]


Il s’agit d’une maladie génétique mortelle qui détruit les poumons. Cette maladie très grave ne se voit pas mais « tue » à petit feu les malades en détruisant leurs poumons.

La mucoviscidose provoque un épaississement du mucus qui tapisse les bronches et les canaux du pancréas et favorise ainsi infections pulmonaires et troubles digestifs. Les infections pulmonaires à répétition engendrent une dégradation progressive et irréversible des poumons.


Ces troubles respiratoires et digestifs très lourds obligent les malades à une vie quotidienne pénible et astreignante : médicaments, soins, traitements hospitaliers.


Non contagieuse, cette maladie peut s’exprimer de façon différente chez chaque patient ; certains sont plus touchés au niveau des poumons et d’autres au niveau de l’appareil digestif.


A ce jour, une seule alternative existe pour prolonger la vie des patients très atteints : la greffe des poumons. Cette opération, qui reste très lourde, ne permet cependant pas la guérison.



En chiffres :

  • 2 millions de français sont porteurs sains du gène de la mucoviscidose.

  • 6000 malades de la mucoviscidoses sont recensés en France à ce jour.

  • 42 ans est l’espérance de vie pour les enfants qui naissent aujourd’hui avec la mucoviscidose.

  • 24 ans est l’âge moyen de décès. Il y a quelques années les patients décédaient avant l’âge adulte, et même avant 10 ans dans les années 60.

  • 30 décès sur liste d’attente de greffe pulmonaire en 2006, 23 en 2005.


B. Un soin ultime


la greffe pulmonaire [2]


La transplantation pulmonaire, c’est-à-dire le remplacement d’un des poumons malades ou des deux par ceux d’un donneur compatible, a pour but de donner la possibilité d’une reprise normale des activités de la vie courante, sociale, professionnelle, familiale…


Mais, au-delà de la nécessaire disponibilité de poumons compatibles et de qualité, le succès de ce traitement ne s’arrête pas à la réussite de l’intervention chirurgicale, il n’est possible :


- qu’au prix de contraintes multiples dont les principales sont :

  • le traitement à vie qui demande beaucoup de rigueur

  • une surveillance personnelle quotidienne stricte

  • des hospitalisations fréquentes et parfois imprévues pour des bilans

- qu’au prix de risque de complications multiples :

  • engendrées par l’immunosuppression

  • liées aux médicaments et aux actes médicaux

  • pouvant conduire à un résultat moins bon que celui escompté voire à une insuffisance respiratoire sérieuse.


Les premières transplantations cardio-pulmonaires chez l’homme ont été réalisées au début des années 80 aux Etats-Unis. Depuis lors à ce jour, plus de 10.000 transplantations pulmonaires ont eu lieu. Les indications à la transplantation incluent à l’heure actuelle toutes les maladies respiratoires avancées à l’exclusion des cancers pulmonaires.


La survie après transplantation pulmonaire est de 70% à 1an et de 45% à 5ans. Cependant, la survie actuarielle à 10ans n’est que de 15%. La mortalité précoce est liée à la dysfonction initiale du greffon et aux infections. La mortalité tardive est surtout liée au rejet chronique qui est la complication la plus significative à moyen et long terme après ce type de transplantation. Les chiffres de survie s’améliorent lentement au fil des années.



Les personnes atteintes de mucoviscidose étaient initialement considérées comme de mauvais candidats à la greffe en raison de la surinfection bactérienne chronique des sinus et des poumons, de l’état nutritionnel souvent précaire, et de l’éventuelle présence d’un diabète ou d’une atteinte du foie.



Toutefois, la première transplantation cardio-pulmonaire chez une personne atteinte de mucoviscidose a eu lieu en 1983 et depuis lors plus de 700 personnes atteintes de mucoviscidose ont subi des transplantations pulmonaires.



Le Registre International de la Société de Transplantation Cardiaque et Pulmonaire (ISHLT) a établi que la survie des patients opérés pour mucoviscidose est comparable à celle des patients opérés pour d’autres indications. Cette analyse démontre également que la survie actuarielle s’améliore progressivement.


Le rejet chronique du greffon pulmonaire, qui se caractérise par une bronchiolite oblitérante, est la principale complication à moyen et à long terme et il est la principale cause de décès après ce type d’intervention.



Quelques chiffres : La transplantation en 2006 [3]

  • Le taux de prélèvement général progresse très légèrement : il est de 23 prélèvements par million d’habitants (contre 22 en 2005).

  • L’activité de greffe dans son ensemble a augmenté de +5% entre 2005 et 2006

  • Cependant, et malgré une forte progression entre 2003 et 2005 (+142%), le nombre de greffes pulmonaires n’a pas progressé entre 2005 (185 greffes) et 2006 (184greffes)

  • Pourtant, parallèlement, le nombre de patients en attente de greffe pulmonaire augmente fortement : de 91 en 2005 à 131 en 2006, soit +44%.

  • En France, la survie est de 70% à 1 an et de 56% à 3 ans sur la période de 1996-1999. Elle continue de s’améliorer avec les nouveaux protocoles thérapeutiques.

  • Enfin, le nombre de décès sur liste d’attente de greffe pulmonaire a augmenté : 30 décès en 2006 contre 23 en 2005.



Si elle reste une aventure non dénuée de risques, la greffe demeure une solution pleine d’espoir pour de nombreux patients.



C. l’espoir de vie, le spectre de la mort


1. La vie, la mort, le mourir…


« Le jour de notre naissance porte en lui l’instant de notre mort. Ces extrêmes, fruits du hasard ou de tout autre chose, délimitent un temps que nous appelons notre vie et, entre ces deux points, nous tentons d’écrire notre histoire. [ ]


Nous n’avons pas choisi de naître, nous n’avons pas eu le choix ni de la qualité du papier de notre livre de vie, ni du type de plume pour l’écrire, ni encore de la couleur de notre encre. Mais il n’en reste pas moins que ces pages sont vierges et en attente de nous où que nous soyons. Ce qu’on y écrit relève de notre liberté à faire « au mieux » avec ce que nous avons entre les mains. C’est notre responsabilité vis-à-vis de nous-mêmes ».[4]


Que ce soit en SP ou en préparation à la greffe, même si le risque de la mort « plane », la personne est bien vivante et c’est de ce vivant qu’il s’agit. Qu’allons-nous en faire ? Comment le vivre ?


Regarder et lire uniquement le dernier chapitre du livre de notre vie ? Tout le livre ou seulement certains passages ? Et dans ce cas, va-t-on en choisir les plus jolis ou les plus moches ?


D’ailleurs, qui ouvre le livre ? le patient seul.. ou accompagné… par le psychologue, la famille, le médecin, les amis ? Avant de répondre à cette question, j’aimerais revenir sur la définition de la mort puis tenter une différentiation entre la mort et le mourir.



Il semblerait qu’il n’y ait pas de définition simple de la mort. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il y en a plusieurs et elles ont changé au fil des ans. J’ai pu retrouver des définitions médicales, scientifiques (clinique, cérébrale, physiologique, biologique, fonctionnelle), philosophiques, religieuses, administratives…



Afin de simplifier le débat, en voici quelques unes, choisies en toute subjectivité ! :


« La mort est une cessation irréversible de la vie. Elle représente un changement complet de l’état d’un être vivant et la perte de ses caractéristiques. La mort se produit à plusieurs niveaux : la mort somatique est la mort de l’organisme en tant qu’ensemble intégré. Elle précède habituellement la mort des organes, des cellules et de leurs composants. La mort somatique est marquée par l’arrêt du battement cardiaque, de la respiration, des mouvements, des réflexes et de l’activité cérébrale. Le moment précis de la mort somatique est parfois difficile à déterminer. [ ] Même s’il est parfois remis en question, le concept de mort cérébrale prévaut à présent : la perte irréversible de l’activité cérébrale est le signe incontestable du décès ».[5]


Ce concept de mort cérébrale est fondamental dans le sujet qui nous concerne. Ce sont les meilleures conditions pour que des organes puissent être prélevés sur ce corps récemment décédé et greffés chez une personne vivante.


La mort cérébrale, quelle en est sa réalité, quelle est la vérité ?


D’après Marc-Alain Descamps[6] « les intellectuels ont admis que l’homme est plus dans son cerveau que dans son cœur et que l’on est mort alors que tout le corps est « vivant » mais que le cerveau ne fonctionne plus. Le fondement de cette nouvelle définition est purement philosophique : la pré-éminence du cerveau. On accorde soudain plus d’importance au cerveau qu’au cœur. [ ] On voit combien la définition de la mort reste imprécise, il faut que cela dure « un certain temps », on est passé de trois à trente minutes d’électroencéphalogramme (EEG) plat et maintenant à deux EEG à six heures d’intervalles par deux médecins différents ou une angiographie cérébrale. Et ce n’est pas suffisant. On n’a atteint en fait que la première étape de la mort, mais c’est elle qui permet tous les prélèvements d’organes vivants sur le corps d’un individu mort mais ceci ne se pratique pas ni au Japon ni dans la plupart des pays musulmans qui ne veulent pas que l’on prélève des organes sur un corps « le cœur battant ». trente neuf pour cent des Français considèrent que ce n’est pas une mort véritable».



On voit déjà apparaître la complexité de l’intégration psychique d’une greffe. Il y a la mort à différents moments, avec la plus complexe : la mort cérébrale. On aura donc la non-mort du greffon d’un autre et la mort de l’organe poumon en moi. La fin de vie d’un organe, la fin d’une vie, la vie d’un organe, une vie qui continue... la complexité du sujet fait que l’on ne sait plus bien ce qui est mort et ce qui ne l’est pas. On en débattra au chapitre suivant.



Néanmoins, dans notre inconscient judéo-chrétien, toute mort est parfois associée à « la grande faucheuse » selon l’idée qu’une personne représentant la mort viendrait nous chercher sur terre.


Prenons garde à cet individu qui fauche, coupe court notre vie pour nous emmener vers un ailleurs absolument incertain !


Mais avant d’arriver -peut-être- au passage, que l’on soit proche de la mort ou proche d’une greffe, nous allons passer par « le mourir ». Il me semble que cet espace-temps, dans le monde hospitalier, est très rarement élaboré avec les patients et interpelle pourtant nombre de soignants.


Avant d’étudier la place du psychologue dans cet espace de vie, voyons ce que l’on peut entendre par le mourir.



Tout au long de notre vie, tous, nous avons des deuils à intégrer : à commencer par le deuil du sein maternel ! Nous avons physiquement à nous séparer de notre maman (je ne parle pas de rejet) comme plus tard, nous avons aussi à laisser nos enfants s’éloigner afin qu’ils puissent se créer individu unique.


Si nous avons eu la capacité psychique d’intégrer ces nombreux deuils : de la perte d’un être cher au changement de vie professionnelle par exemple ; si nous avons eu la tendresse des autres et/ou de soi-même pour accueillir ces étapes, les traverser et poursuivre notre chemin, sans déprimer plus que nécessaire, alors ce temps du possible mourir deviendra un temps de vie et non un temps déjà mort.



Le mourir est donc ce temps de vie avant l’instant de la mort. Le temps du mourir est plus ou moins long. Dans le cas d’un accident brutal, ce moment se réduit parfois au moment de la mort. Dans certains cancers, il peut être très long. Ce temps du mourir est associé à la réalité consciente ou inconsciente d’une mort proche… la séparation d’avec notre vie sur terre est bien entamée.



Quand les médecins conseillent une greffe pulmonaire, c’est qu’ils ont conscience que le temps de vie restant pour le patient est court. Si cette prouesse chirurgicale n’existait pas, l’individu serait dès lors, déjà, dans ce temps du mourir. Fort heureusement, la greffe est maintenant possible, alors tout un chacun –du patient au médecin- tente d’oublier que le spectre de la mort n’est pas loin. Attention, notre inconscient ne l’oublie jamais ! Ce dernier a besoin d’espace d’expression : rêves, cauchemars, somatisations plus ou moins graves ou encore échanges, en toute humanité, entre êtres conscients de la réalité… parole de psychologue !



Penser la mort et le mourir n’est pas simple car cela rejoint une problématique bien ancrée en nous, celle du refoulement de la mort. Dans la réalité réside un fort déni de la mort et une pensée magique que la médecine guérit tout.


Je me souviens d’un patient qui, fortement en colère, me disait : « Vous êtes des incapables, vous n’avez pas réussi à me guérir ni à me faire greffer au plus vite ! mais que faites-vous ?… ». La nature est injuste, ou plutôt la nature n’a que faire de l’équilibre. La nature est la nature. Il y a des pays avec trop d’eau et d’autres qui en manquent… il y a des hommes avec une bonne santé et d’autres qui souffrent.


Rare est la personne qui accepte que la mort fasse partie du mystère de la vie et qu’elle ne soit pas toujours cause extérieure et injuste.



Jean-Baptiste Godinot au 18ème siècle, Jeanne Garnier en 1842 en France, Cicely Saunders à Londres en 1967, tous ont fait avancer la notion actuelle de soins palliatifs. Lady Cicely Saunders serait à l’origine du concept de souffrance globale, on lui doit cette belle observation[7] : « je commençais à prendre conscience, en écoutant les malades, que je percevais quelque chose de leur capacité à faire de cette partie de leur vie une réussite ».



Nous allons tous vers cette conscience que si la mort hante les patients, le mourir les envahit encore plus.


Malheureusement, trop souvent, les patients en attente de greffe et nous-mêmes leurs soignants, sous prétexte que nous voulons rester vivant, clivons les angoisses liées au risque réel de mort sur liste.

(rappel : le nombre de décès sur liste d’attente de greffe pulmonaire a augmenté : 30 décès en 2006 contre 23 en 2005).


Par ailleurs, et c’est aussi une question, toute personne en attente de greffe a-t-elle envie de vivre, peut-être a-t-elle juste envie de ne pas mourir ? Juste envie que ses souffrances s’arrêtent, peur que d’autres douleurs physiques, psychologiques arrivent avec et après la greffe ?


Ces personnes se demandent toujours si l’opération greffe fait mal… si après la greffe la vie sera véritablement meilleure, et bien sûr, si le mourir fait, lui aussi, mal…



Alors, comment rester résolument dans une dynamique de vie sans mettre de côté les émotions de peur ?


Peut-on laisser ces patients, seuls, avec de telles interrogations ?


2. La place du psychologue


Qui d’entre nous, à l’hôpital, ose parler simplement, directement, mais avec grande délicatesse de la mort, du mourir ? Il faudrait probablement faire une étude sur le sujet… j’ai bien peur que les statistiques qui en résulteraient n’aillent pas en faveur d’une approche humaine simple, du médecin à l’aide-soignante en passant par la diététicienne, l’infirmière et même nous, les psychologues.


Selon Isabelle Marin[8] « A l’hôpital et dans les structures sanitaires, les professionnels, qui participent de cette société, sont aussi intolérants à la douleur, à la souffrance et à la mort que la plupart de leurs concitoyens ; pas plus qu’eux –et peut-être moins encore parce qu’ils sont pétris de l’idéologie scientifique, qu’ils croient davantage au progrès et qu’ils sont engagés plus avant dans la lutte pour l’immortalité-, ils n’ont ni l’envie ni les moyens d’être disponibles à cette problématique et donc à ces malades. Ainsi, le malaise infirmier a souvent été attribué à cette confrontation des personnels avec la douleur, la souffrance et la mort, dans un constat ou un sentiment d’impuissance ».



De mon vécu à l’hôpital, je ne serais ni si extrémiste, ni si pessimiste. En effet, je rencontre tous les jours des soignants qui ont conscience de la peur de leurs patients et qui la prennent en compte. Peut-être parfois l’évitent-ils, mais il me semble que c’est surtout par manque de moyens psychiques, psychologiques pour les aider sans se faire mal, sans leur faire du mal et non par manque d’humanité.


C’est un métier réellement éprouvant que de vivre au quotidien avec des personnes douloureuses physiquement, moralement. La douleur a un effet négatif sur le tempérament des plus endurcis. Naturellement, elle ne développe pas en nous nos plus belles facettes, au contraire, elle révèle nos faces sombres, nos manques, nos faiblesses… et l’on n’en reste pas moins des hommes et des femmes qui ont besoin d’aide.



Dans le cas de l’espace-temps du mourir, cet accompagnement est encore plus délicat car il renvoie le soignant à ce qu’il aura, à coup sûr, à vivre plus tard… sa propre mort ! le soignant sait qu’il ne sera pas forcément malade, qu’il n’aura pas toujours les maladies de ses patients surtout si elles sont génétiques comme la mucoviscidose, mais il sait que la mort l’attend au bout du chemin, sans concession.



Alors, le psychologue, qui a pour mission d’aider son alter-ego à retrouver sa potentialité créatrice en arrivant à soulager les tensions, est-il capable, formé, pour suivre le malade dans les méandres que constituent l’intrication du vivre et du mourir ? Et si par chance il en est capable, est-ce que le patient lui-même a eu un chemin de vie qui va lui permettre, avec son aide, de démêler les nœuds de ses pulsions de vie et de mort ?



Dans ce temps d’attente, il est évident que notre accompagnement psychologique doit prendre en compte ce chemin vers la mort, ou le mourir en cas de greffe. Nous devons avoir les moyens psychiques et relationnels d’aborder toutes les angoisses par lesquelles le patient passera. Mais nous l’avons noté plus haut, le psychologue en est rarement capable. Et cela pour plusieurs raisons :


C’est un chemin qui associe la psychologie à la philosophie.


C’est une formation qui demande une grande remise en question, un « nettoyage » personnel de sa propre histoire afin d’écouter celle de l’autre et de la recevoir comme unique.


Cette aptitude à parler le mourir nécessite un équilibre de vie dans le présent, mais aussi une expérience de vie. Elle demande un chemin qui permet de savoir garder l’équilibre dans le déséquilibre.


Selon Catherine Maugars, cadre à l’hôpital St Jacques à Nantes[9] : « L’approche d’une personne en fin de vie est un temps fort dans la relation qu’un soignant peut avoir avec le patient. Cela nécessite de la part du soignant une bonne connaissance des étapes du mourir (les connaître mais surtout être capable de les identifier). D’autre part, la relation avec la personne en fin de vie nécessite des aptitudes relationnelles qui demandent souvent des années d’expérience ».


Il est plus facile de demander à notre patient comment il va maintenant. Il a toujours nombre de douleurs physiques ou relationnelles à nous confier et nous sommes assez à l’aise pour les écouter ; par contre, il est tellement plus délicat et difficile de se tenir avec lui, j’insiste : avec lui, dans son no man’s land de cet espace entre le vivre et le mourir. Cet espace où il nous est donné d’être à la fois ici et ailleurs, de dire au revoir et bonjour (même si nous pensons que c’est le néant qui nous attend).


Je le vis bien souvent, c’est difficile d’être une psychologue qui associe dans son travail, tout en même temps : connaissances intellectuelles sur le psychisme humain, humanité et compassion, vigueur et rigueur, intuition et structure, élan et retenue, psychologie et philosophie…


Ce métier nous demande, aussi, un gros investissement affectif, une ouverture du cœur sans pour autant être dans un lien qui dépasse notre rôle, outrepasse notre lien professionnel avec le patient.



Heureusement, des lieux de formation se développent de plus en plus nombreux. Ils doivent à la fois nous faire travailler sur l’écoute juste, active, créative de nos patients, développer une connaissance théorique tout en étant attentif à ce que le soignant soit lui-même « soigné » afin d’être « neuf » à chaque nouvelle rencontre.

C’est un défi incroyable et merveilleux !



Prenons une image symbolique. Imaginons le psychologue en formation. Voyons-le comme un coach qui aide un bateau et son skippeur à traverser l’atlantique. Pour ce faire, il reçoit dans sa formation un certain nombre de connaissances nécessaires à la reconnaissance puis connaissance dudit bateau. Cependant il existe autant de bateaux que d’individus… alors sa formation lui en expliquera seulement les grandes lignes : voiles, gouvernail, boussole, mât et quelques vis de ci de là… le reste, il aura à le découvrir par lui-même. Mais même si le bateau est connu, celui qui le skippe change beaucoup sa capacité à traverser l’océan. Il est des bons et moins bons navigateurs… un même bateau ne fera pas la même traversée suivant les marins. Qui est-il ce marin ? Comment fonctionne-t-il ? Quelle est son histoire ? Comment va-t-il réagir face aux intempéries ? C’est encore plus difficile à comprendre, à intégrer que l’approche du bateau. Les combinaisons de réactions sont infinies !


On le constate, le psychologue a un travail compliqué. Il va devoir développer sa connaissance du bateau : le corps, et avec ce dernier comprendre les talents du marin : le psychisme du patient… Sans oublier que la mer (les évènements de la vie sociale, familiale, humaine) ne se contrôle pas : vent, soleil, animaux marins, icebergs seront la surprise du voyage…


C’est donc le travail d’une vie que d’intégrer au mieux toutes ces connaissances afin de les utiliser au plus juste.



Jour après jour, osons quand même la relation thérapeutique mais faisons-la en toute humilité!


Notre rôle est d’accompagner, au plus près, notre patient en attente de greffe, et ne nous voilons pas la face, puisque le spectre de la mort –avant, pendant, après l’opération- le hante, nous avons à oser le rejoindre sur ce sujet.

Par contre, a-t-on à lui en parler, avant qu’il ne nous en parle ?



Les médecins le font en lui parlant des risques médicaux mais le psychologue n’a pas forcément à aborder le sujet de front. Je considère pourtant que c’est mon métier d’être prête et disponible à échanger avec lui de ce qui le tracasse… Peut-être même parfois, à lui lancer des perches qu’il récupèrera ou non. Dans tous les cas, nous marchons au même pas que lui, nous gérons avec lui : frustrations, colères, deuils, paniques, rêves, espoirs fous ou réels, bouleversements familiaux et personnels, freins, peurs, tristesses, découvertes de liens d’amitié, d’amour, bilan de vie ou de passages de vie…


Nous pouvons rester en périphérie de toutes ses élaborations intérieures. Le patient n’a pas toujours accès à son appareil psychique. C’est un travail de l’aider à se penser lui-même, à lui apprendre à élaborer et donc à libérer ses tensions intérieures. Jamais, nous n’attaquons les défenses directement, seulement dans la relation transférentielle. Nous n’avons pas à être aussi intrusif que la maladie mais nous n’avons pas, non plus, à le laisser seul dans ce passage si délicat et vertigineux à vivre pour notre condition humaine.



Le Professeur Jean Benjamin Stora[10], qui a beaucoup travaillé avec les personnes en attente de greffe, pense que le psychologue n’empêche pas, bien sûr, la mort de faire son oeuvre mais qu’il aide (tout comme le médecin) à prolonger la vie. Le psychologue a une influence sur le temps qu’a le patient. Si ce dernier arrive à soulager ses tensions intérieures, la vie gagne de l’espace. Le pragmatisme populaire le sait bien, le stress et l’angoisse empêchent de respirer.


Le Docteur Christophe Fauré[11] ajoute : «quand une situation devient trop incompréhensible ou trop douloureuse, on a besoin de prendre du recul pour ne pas être écrasé psychologiquement. Or, le fait de donner du sens aux événements aide à créer ce nécessaire recul, cette indispensable mise à distance entre soi et la situation qui fait mal [ ] donner une direction à notre souffrance (quelle qu’elle soit), pour lui permettre de s’écouler et de s’évacuer, car, sans la possibilité de donner du sens, on est exposé au risque d’être submergé par cette même douleur».



Voyons maintenant quelle peut être la différence d’apport du psychologue avec les autres soignants. Je me suis sentie très proche du discours de Maguy Wiart et Philippe Barrier lors de ma formation du DUSP[12]. Ils y donnent des clés pour la relation d’aide des personnes dans cet espace du mourir, la vie jusqu’au bout. Ils insistent sur les qualités de l’écoute des mots mais aussi du non-verbal, de l’attention à la musique de la voix tout autant qu’au silence. Ils apportent une notion nouvelle d’un accompagnement qui prend en compte nos cinq sens mais ils disent aussi fermement ce que la relation d’aide n’est pas.


Nous y voilà… l’expression est lâchée : « la relation d’aide »… voilà où se situe notre différence !


Le psychologue, s’il est profondément dans la relation d’aide, a dans sa mission à connaître et à comprendre les mécanismes de construction du psychisme, et donc des réactions des patients. De fait, il pourra alors mettre du sens aux manifestations du psychisme et tenter de les lui expliquer (et parfois aussi au personnel médical).


Le psychologue a un objectif conscient de permettre à l’individu de vivre au plus près de lui-même, de son potentiel, de ses talents. Se comprendre n’est pas toujours suffisant pour évoluer, il est parfois nécessaire de permettre au patient, pas à pas, de se découvrir lui-même. De redécouvrir le sens de sa vie et surtout la juste émotion de lui-même. Trop souvent, nous restons bloqués dans nos mécanismes défensifs de protection, d’incompréhension, de rage, de peur.


Je vois alors mon rôle comme celui de l’accoucheur qui accompagne l’individu afin qu’il s’accouche de lui-même.



3. Le spectre de la mort, l’espoir de vie

a. dans une USP - Unité de Soins Palliatifs -

Lors de mon expérience, très limitée, en unité de soins palliatifs, ma collègue psychologue[13] m’a précisé que le thème de la mort est très rarement abordé de front mais parfois, et de préférence, de façon symbolique, détournée. Par contre, les échanges tournent beaucoup autour des évènements liés à l’instant présent : bien-être ou mal-être des patients , le sens donné à la maladie (le plus souvent des cancers). Les malades ont parfois besoin ou aiment raconter leur famille, leur vie avec, alors, la douloureuse conscience de la perte qu’ils subissent : perte des personnes aimées, perte d’une vie familiale, professionnelle, corporelle, affective...


Le plus souvent, la peur est omniprésente. Elle est à puissance variable suivant les moments de la journée et le niveau d’acceptation de ce qui arrive, mais elle est là et a besoin de support pour se dire, s’échapper, s’apaiser.



A partir du moment où les patients arrivent dans ce type d’endroit, ils peuvent toujours nier l’évidence d’une fin proche, mais il y a forcément quelqu’un de leur environnement qui est au courant : la famille, le personnel médical, des amis… quelqu’un qui sait que le passage de la vie à la mort est proche. En effet, la moyenne de séjour dans ce lieu est de 2 à 3 semaines.


Ils sont alors dans ce temps du mourir même si, encore et toujours, nous allons être dans la vie jusqu’au bout. Notre travail est d’accompagner la vie sans nier, cliver, le fait que dans cette partie de la vie, le mourir est omniprésent.



De plus, dans une USP comme dans tous les cas où la famille reste proche du patient : « il ne faut pas oublier que le deuil est vécu par la personne en fin de vie mais aussi par ses proches. Le cheminement est identique, le soignant doit donc comprendre ces réactions et les situer dans les étapes qui vont vers l’acceptation de la mort. Cela sous-entend qu’il faut accepter le refus, ne pas s’offusquer de la colère, décoder le marchandage, dépister la dépression, entendre l’acceptation et laisser à l’espoir sa valeur ». Dans ce texte, Catherine Maugars[14] à Nantes, fait référence aux étapes du mourir décrite par une extraordinaire pionnière dans les soins palliatifs, Elisabeth Kübler-Ross. Suisse, elle a longtemps travaillé à Chicago en tant que médecin. C’est à elle que l’on doit les étapes du mourir et donc la notion que le vivant est vivant jusqu’au bout. La description de ces étapes a révolutionné le monde de l’accompagnement des personnes en fin de vie comme le suivi de toutes personnes en processus de deuil (professionnel, lieu de vie, santé, départ d’un jeune adulte du foyer…).



Cet accompagnement du mourir demande aux soignants un talent, une présence particulière. Dans le chapitre précédent nous avons présenté quelques unes des caractéristiques de la mission du psychologue,.



b. dans la préparation à la greffe pulmonaire


Prenons bien conscience qu’à partir du moment où l’on parle de greffe pulmonaire à un patient c’est que sa vie paraît en danger à court terme. L’agence de santé publique au Canada s’est risquée à écrire : « les patients atteints d’une maladie pulmonaire très avancée et n’ayant aucune autre option thérapeutique, sans greffe, ont leur pronostic de survie limité (un à deux ans) ».


Tout patient atteint de mucoviscidose le sait, et quand le médecin lui annonce, avec toutes les précautions d’usage, quelque chose comme : « il commence à être temps de penser à la greffe », ce patient va être bouleversé.



A ce propos, l’association Vaincre la Mucoviscidose, dans son livret spécifique « greffe et mucoviscidose »[15], brochure d’information à l’attention des patients et de leur famille, écrit : « ainsi, la démarche de préparation à la greffe devrait, autant que faire ce peut, s’inscrire dans le temps : temps de parole, temps de préparation psychique pour vous et vos proches [ ] Exprimer ses symptômes et ses difficultés : à un autre niveau, un état anxieux voire dépressif peut s’instaurer, avec difficultés d’endormissement, cauchemars, repli sur soi, perte d’appétit, agressivité… tous ces effets, ces symptômes sont connus et peuvent être pris en charge. [ ] Pendant toute cette période, les entretiens avec le psychologue, s’attacheront à laisser émerger la représentation que vous avez de votre maladie, comment elle s’inscrit dans votre histoire personnelle, familiale, sociale, comment elle est vécue, appréhendée au quotidien… Mais c’est aussi un moment pour cerner où vous en êtes de vos projets. L’idée de la greffe est-elle source de mobilisation du désir ou pas encore ? »



La brochure n’écrit pas, ce serait trop violent, que dans ce traumatisme, le spectre de la mort plane à tellement d’endroits que le patient commence presque toujours par refuser, directement ou indirectement, le parcours de transplantation cherchant à éloigner la prise de conscience de son état médical et les risques associés.

En tant que psychologue, c’est être aveugle et sourde que d’imaginer que les angoisses de mort ne les envahissent pas. Maintenant va-t-on aussi devenir muet et ne jamais aborder la question avec eux ? Je l’ai déjà mentionné, c’est l’histoire thérapeutique qui décidera si le sujet a besoin, ou non, d’être abordé.



Je vous propose quelques espaces-temps de leur parcours qui, dans mon expérience, m’ont amenée sur ce sujet là avec certains d’entre eux :



a) Leur poumon est en « fin de carrière »


Le besoin de greffe signifie que leur poumon est en « fin de carrière ». Chaque patient mène une bagarre quotidienne depuis si longtemps afin d’en reculer l’échéance, que l’annonce du projet de transplantation fait office de «tsunami psychique». Il arrive au bout d’un parcours de soins, et, comme il peut le dire souvent : « La maladie a gagné le combat, elle m’a rattrapé et pourtant j’ai tout fait pour courir devant. C’est injuste ! ». C’est un processus de deuil de la guérison imaginaire qui commence. Nous allons échanger autour de « la mort » mais aussi du « merci » à ce poumon avec, pour lequel, il s’est tant impliqué… et dont il a encore besoin… jusqu’à la greffe !


b) Impossibilité médicale d’une transplantation


Puis, notre travail de psychologue se complexifie car il a à prendre en compte plusieurs chemins de vie possibles. Le pire étant celui de la mort certaine parce qu’il n’y a pas de possibilité d’inscription sur la liste, le patient étant déjà trop malade ou porteur de certains germes incompatibles avec une telle opération. Comme d’autres situations, en cancérologie par exemple, ce chemin de vie va révolter plus d’une personne.

Dans ce voyage, nous savons à l’avance que le patient est en route vers son dernier souffle et notre travail est un accompagnement de la vie jusqu’au bout mais ne soyons pas sourd aux besoins du malade si celui-ci est envahi du mourir.


c) Le patient refuse la greffe


Ce type de refus arrive souvent en début de parcours, il est presque « normal ». Puis le patient avance dans son processus de deuil de la guérison de son poumon et plus ou moins rapidement il va adhérer au projet… parfois il ne le fait qu’une fois devenu trop malade, trop souffrant pour supporter sa vie. Alors, il finit par accepter mais presque par dépit. A ce moment là, nous espérons tous qu’il ne soit pas trop tard, et que son corps a encore de la ressource…


Si le refus se poursuit, notre accompagnement psychologique doit prendre en compte ce chemin vers la mort et toutes les angoisses par lesquelles le patient et sa famille passeront. C’est vraiment difficile. Aucun des patients que j’ai suivis, pour l’instant, m’a exprimé ce refus. Par contre, j’ai entendu parler d’une jeune femme, qui ayant déjà été greffée du foie, ne voulait plus repasser par un parcours de greffe.


d) Décès sur liste de greffe


Rappel : en France il y a eu 30 décès sur liste d’attente en 2006 contre 23 en 2005. La personne meurt alors qu’elle attendait son « nouveau poumon » car son corps, épuisé, lâche. C’est un vécu terriblement éprouvant pour tous. Dans le chapitre suivant je vous le décris avec l’histoire d’Annabelle.


Pour mémoire, le patient avec une mucoviscidose en besoin de transplantation, est relativement jeune. On comprendra aisément que tous, le patient, sa famille, le personnel médical, se révoltent à l’idée de ce type de fin de vie. Chacun vit un profond sentiment d’échec, de vide, d’insupportable.


e) La greffe a lieu


Heureusement sur ce chemin de greffe, nombreux sont ceux qui vont y avoir accès. Cela n’empêche pas que l’attente est longue et laisse place à plusieurs états d’âme dont ceux-ci :

  • «Vais-je tenir jusqu’à la greffe ?» cela voulant sans doute dire : «Vais-je mourir avant ? »

  • La culpabilité d’attendre la mort de quelqu’un pour pouvoir vivre,

  • Un stress familial intense, que va devenir cette personne que j’aime ?

  • La phobie des microbes, attention une grippe peut lui être fatale !

  • L’interdiction d’aller à plus d’une heure de chez soi, il faut être joignable à tout moment, etc...

Notre travail devient alors un contenant de ces angoisses, une mise en mots pour une mise en sens. Puis nous serons là, résolument, pour parler du vivant, de leur pulsion de vie à tenir éveillée tout le temps qu’il faudra !


f) La mort d’un donneur


Dans le chapitre sur le soin ultime : la greffe pulmonaire, nous avons vu que ce type de soin nécessite la mort d’un individu pour que la vie d’un autre se poursuive. D’une façon paradoxale, nous pourrions dire que la transplantation permet au greffon d’un mort pas vraiment mort mais mort quand même de rejoindre le corps d’un homme ou d’une femme presque mort mais pas encore mort… quand même !.


De fait, il n’est pas surprenant de constater que les patients sont parfois bien perdus après une greffe, et cela d’autant plus si aucune préparation n’a eu lieu avant. Ils se demandent si, par l’intermédiaire du greffon implanté, un autre ne vit pas en eux. Suis-je encore un ou suis-je devenu deux ? Est-ce que je porte la vie ou la mort en moi ? Ou les deux ?



Par expérience, je peux dire que si cette question n’est pas élaborée avec un soignant, le patient a beaucoup de mal à se réorienter après l’opération et au final, le risque de rejet augmente.


C’est invivable pour une unité psychique d’être constamment envahie par un autre mort mais pas vraiment mort quand même. Il est vital que le patient comprenne, intègre et accepte que ce greffon lui appartient et demande des soins constants, lourds, à heure fixe. C’est une nouvelle histoire qui commence. Un nouveau chapitre du livre. Ce n’est, en aucun cas, l’histoire d’un autre qui se poursuit en lui. Ceci n’empêche pas la reconnaissance par le merci symbolique au donneur. Il est même nécessaire. Nécessaire, autant que de laisser le mort à l’extérieur de lui-même. Je le répète, même après une greffe, il est un, pas deux.


Cette élaboration se travaille le plus souvent avec le psychologue formé et conscient du phénomène.



D. Deux histoires de vie


Annabelle, Fabien. (les prénoms sont empruntés).

Histoires à suivre ici


Conclusion :


L’accompagnement psychologique est un parcours au plus près des besoins conscients ou inconscients de nos patients. La forme somatique de leur maladie, leur soutien familial, leurs croyances, leurs ressources… Tout va influencer leur être au monde.

Freud a clairement exprimé l’enchevêtrement de nos pulsions de vie et de mort. Régulièrement, une pulsion prend le dessus mais dans tous les cas, la vie se « joue » par vagues, par cycles. Notre métier de psychologue nous demande d’avoir les moyens intellectuels de comprendre les processus psychiques en jeu dans la vie de nos patients, mais aussi les talents du cœur pour être en relation profonde avec eux. L’ensemble s’épanouit efficacement par un savoir-faire professionnel.



Par ailleurs, puisque nous ne savons pas à l’avance si un patient en attente de greffe va finalement vivre ou mourir, avons-nous à élaborer autour de ces deux possibles ou faut-il rester uniquement ancré dans la pulsion de vie ?

Tout ce mémoire porte l’idée que nous sommes là pour soutenir nos patients et développer leur potentiel. Nous allons à la fois parler de ce corps qui s’abîme et peut mourir, comme nous allons, aussi, continuer à développer toute leur pulsion de vie, leur capacité relationnelle, leur talent affectif, leur âme. Nous allons parler vrai dans un espace portant, résolument, l’espoir de vie.


Aujourd’hui, il m’apparaît urgent que de plus en plus de personnes soient capables de rejoindre nos patients dans cette phase particulière où se tutoient la vie et la mort ; et c’est particulièrement difficile de ne pas négliger le mourir sans pour autant le cristalliser. Il est vital d’aider les hommes à s’accoucher d’eux-mêmes.



Enfin, et pour leur rendre hommage, je confie le mot de la fin à deux patients se situant entre deux extrêmes. Le premier témoignage vient d’un homme greffé depuis seize ans du poumon et depuis sept ans du rein. A l’époque il n’y avait pas de psychologue dans le service.

«Mes deux années d’attente de la transplantation pulmonaire furent une aventure psychique démentielle, on ne peut pas raconter cela. Et j’y pense encore. Pour moi il y avait une ligne et je me demandais toujours comment j’allais faire pour arriver jusqu’au bout. Ce bout c’était, soit le trou, soit la vie. Il suffisait que je choppe la grippe et j’étais mort».

Le second témoignage vient d’une femme. Après huit mois d’une transplantation qui n’a pas tenu, elle fut de nouveau greffée et va très bien depuis plus de douze ans.

« En moi, l’espoir de vie a supplanté l’idée de la mort. Je n’ai pas pensé à la mort mais je sais aujourd’hui que j’étais inconsciente».

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(Pour les commentaires écrits avant décembre 2015: les dates d'origine n'ont pas pu être reportées)

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